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Patricia DELATTRE - Psychologue

Psychologue clinicienne pour enfants, adolescents et adultes - Cabinet : 18 rue Creton 80000 AMIENS - Tél. : 06.34.23.89.18 - Mail : patricia.delattre@yahoo.fr

Le devoir d'influence ou comment planter les graines du changement

"Point n'est besoin de faire violence à la nature, il faut juste la persuader". Epicure

"Point n'est besoin de faire violence à la nature, il faut juste la persuader". Epicure

Avec ce billet d’humeur, j’ai souhaité ouvrir le débat sur la nécessité de s’entraider,  communiquer, transmettre nos idées, malgré les limites et pièges de notre idéologie et générosité.

 

« J’ai récolté les fruits des graines que j’ai plantées »… J’entends ces paroles ponctuées d’un soupir de bien-être la fin d’une période difficile, quand vous déclarez « aujourd’hui beaucoup de choses ont évolué »…. Cette métaphore nous amène parfois à débattre avec philosophie à propos de la communication avec autrui, qu’est-ce qui a fait que l’échange d’idées a été fécond ? Car entre affirmation de soi et ouverture d’esprit, comment savoir si l’on s’est fait comprendre, ce qu’en a retenu notre interlocuteur ? La limite entre empathie et manipulation est bien mince parfois. Même si influencer a une connotation négative ("trafic d'influence", "être sous influence", "il se prend pour une Lumière"), transmettre ses idées permet à la démocratie de s'exercer et d'être moteur de notre société.

 

Une opinion ne doit-elle pas pouvoir s’exprimer, comme on plante une graine ? Parfois, il est nécessaire d’entretenir la germination par des attentions quotidiennes. On peut communiquer sa pensée même si on doute de la pertinence de ses remarques. On peut lutter contre la pensée collective, contre celle d’une époque, car les idées évoluent avec le temps, l’histoire, l’avancée de la science, l’influence d’une culture, d’un environnement, de la Nature…

On peut être jardinier dans l’âme, créatif et désireux de produire, et devoir composer avec les aléas de la météo capricieuse… Ainsi, certaines personnes sont frileuses, septiques, on sera tenté de répéter sous différentes formes le message, au risque de déraper dans la manière de communiquer, s’obstiner un  peu trop, ou baisser les bras, laisser le temps faire son œuvre, se documenter, ou encore abandonner l’idée finalement, pourquoi pas.

Quand vous persistez, quand vous vous vous êtes engagés auprès d’un proche, vous me confier avec des yeux mouillés de satisfaction, et un sourire teinté d’humilité : « j’ai donc bien fait ! »  La graine s’est transformée en une belle fleur… votre ami, votre enfant, votre parent, votre collègue, a profité de « votre empathie, c’est-à-dire de votre désir de vous engager dans une activité commune mue par le plaisir de faire-ensemble en laissant à chacun la liberté de sa spontanéité. » Vous aviez oublié combien il faut être patient. Parfois la personne se refuse à entendre, jusqu’à… ce qu’un évènement, un orage, un coup de chaud suivi d’un déluge de pluie, vienne arroser subitement cette graine et faire évoluer l’idée en une nuit !

Oui, il faut être patient et rester positif, ne pas montrer d’agacement et sembler assez sûr de soi. C’est de cette force que les autres se nourriront quand ils se seront approprié le message.

Ainsi, quand la graine commence à germer et que les racines poussent et commencent à chatouiller, alors, à ce moment précis il faut tenir bon, continuer à arroser chez cet autre, la jeune pousse. Il faut résister à l’idée qu’on doit bien l’embêter avec toutes ces attentions,  et veiller à ce qu’elle ne manque pas de chaleur et de lumière, de marque de sympathie.

Dans le meilleur des cas pour les deux parties, le propriétaire du terrain peut sentir qu’il a en lui une plante merveilleuse en train de pousser, celle du changement.

Mais dans bien des situations, le propriétaire conservateur sera réfractaire : « ça doit être une mauvaise herbe, il faut l’arracher ». Si vous ne prenez pas gare, tous vos efforts seront anéantis, et pour longtemps, si la personne a décidé d’employer des moyens catégoriques. Les effets du round up seront longs à se dissiper avant que vous ne puissiez à nouveau planter une nouvelle graine. Et pire, le propriétaire vous bannit de chez lui, persuadé d’avoir été contaminé du fait de votre incompétence ou de votre culot ! C’est ainsi que nombre de jardiniers/philosophes ont été accusés de sorcellerie autrefois ;-) 

Prenez donc du recul ! Jardiner ne veut pas dire forcer la nature, il y a des terrains plus faciles, commencez par ceux-là. Mais ne vous détournez pas des autres propriétaires réticents, continuez à leur rendre visite… Ne les ignorez pas, vous ne gagnerez rien à les mépriser. Ils passeront pour des victimes de votre sentence. Le danger est de passer alors aux yeux des autres, pour un redresseur de tort. Tous seront alors fatigués par vos paroles, le message sera boycotté car vu comme un courroux. C’est l’impasse des quiproquos compassionnels.

 

Si vous prenez le temps de jardiner vos propres terres, vous améliorerez votre technique, votre discours sera plus affirmé, raffiné, vous dégagerez quelque chose de simple, et pourtant très recherché : la sérénité.

Alors vous serez écouté, certains se familiariseront à votre savoir-faire et finiront par voir votre main verte. Ceux-là viendront vers vous, ils seront alors en demande de conseils, ou souhaiteront simplement confier leur début en la matière. C’est la demande qui fait la différence ! Mais attention, soyez vigilant à votre réaction : sous l’effet de la joie (vous avez tellement attendu ce moment !), n’en profitez pas pour leur planter trop vite d’autres graines ! Il est nécessaire de rester co-auteur, c’est-à-dire dans la réciprocité, voir les autres comme autant de jardiniers capables de faire germer chez vous aussi la graine du changement…

Un jardinier doit être suffisamment ouvert à des variétés anciennes, nouvelles, hybrides, mais restera au fond lui-même, avec ses valeurs, centres d’intérêts de prédilection,  afin de conserver sa joie, créativité, savoir-faire. L’authenticité se ressent dans les gestes, l’attitude, et les paroles sont mieux accueillies.

Pour une minorité rien ne sera pas possible. Ne vous échinez pas. On dit que dans la caillasse il ne pousse rien de fertile… Ne soyez pas si sévère, car à mieux regarder on y trouve des choses intéressantes… Conservez votre esprit de tolérance : vous avez essayé, donc rien à vous reprocher. Dites-vous que les choses se rejoueront peut-être autrement, plus tard, pourquoi pas… Pensez à l’effet papillon… Le film Cloud atlas est un bon exemple de l’énergie constructive que l’inconscient peut faire circuler au travers des générations, les époques. Il y aura heureusement toujours des hommes qui réussiront à rester humain même dans une situation inhumaine.

Votre empathie cognitive (raisonnée, intellectualisée, capacité de percevoir les intentions des autres) ne doit pas prendre le dessus sur votre empathie affective (intelligence émotionnelle, être affecté, se réjouir pour ce qui arrive aux autres). Ni faire de vous un spécialiste de l’empathie comportementale (effet caméléon, adaptabilité, conformisme). En effet, vous seriez alors dans un conflit, une situation paradoxale générant la peur et l’angoisse.  Soyez confiant en l’autre, en ses possibles et surtout bienveillant envers-vous-même : si ces hérissons vous montrent un peu trop souvent leur piquant, tenez-vous à distance. Tournez-vous vers les « tout-doux », ceux qui sont conscients de leurs défenses mais qui n’ont pas besoin de les affuter, ceux qui sont à l’aise avec leur intériorité, qui se connaissent, savent qu’ils disposent de douceur, ils vous apporteront le réconfort dont vous avez besoin. Ravigoté de leur tendresse pour vous, il sera plus facile de repartir jardiner vos terres, rencontrer d’autres propriétaires… c’est là une belle façon de les remercier : faire fructifier, diffuser cette lumière en vous, et autour de vous.

 

Pour aller plus loin :

Serge Tisseron – Empathie et manipulations, les pièges de la compassion - Albin Michel. 2017

Nicolas Narcisse - Le devoir d'influence, manifeste pour une nouvelle communication - Odile Jacob. 2013

Giorgio Nardone - L'art noble de la persuasion, la magie des mots et des gestes - Enrick B -Ed. 2016

Hélène Deutsch – les « comme si » et autres textes – Seuil. 2007

Tchat avec Serge Tisseron – psychologie magazine - 2017

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