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Patricia DELATTRE - Psychologue

Psychologue clinicienne pour enfants, adolescents et adultes - Cabinet : 18 rue Creton 80000 AMIENS - Tél. : 06.34.23.89.18 - Mail : patricia.delattre@yahoo.fr

Le triangle de Karpman, outil de médiation pour gérer les difficultés relationnelles

Le triangle de Karpman, outil de médiation pour gérer les difficultés relationnelles

Je redécouvre cette chanson de Michel Fugain « les gentils méchants »… Oui ce n’est pas récent, direz-vous. C’est que cette chanson me touche particulièrement en ce moment où le climat social est tendu à la sortie des vacances. Une vague d’agressivité se fait sentir ici et là, clivant d’un côté les bons travailleurs en gentils, et ces politiciens qui décidément ne comprennent rien à la misère du peuple, en vilains mécréants. Vous comprenez que j’use de caricature, d’ironie, mais en ce jour de grève des infirmières, je ne saurai que compatir à leur détresse, car il est un fait bien réel que bon nombre d’entre elles et eux sont touchés par le burn out.

Il est fréquent d’entendre cette dichotomie « gentils/méchants » au sein de nos relations interpersonnelles : par exemple, au sein d’un groupe il y a les « bons amis », mais alors les autres ?, ou la formidable coiffeuse et bouh ! l’autre incompétente dont on ne veut plus depuis qu’elle a coupé un centimètre de trop…, etc… et on retrouve cette croyance limitante sur son propre compte : on a tous entendu une personne se dire un jour « trop bon, trop con ».

Nous sommes pourtant bien nous-même un mélange de ces deux types-là, si si… mais bien entendu l’estime de soi ne doit pas osciller en permanence entre l’image d’un ange et d’un démon, entre une image « très belle » dans un domaine et dégradée dans un autre. Cette dichotomie extrême se retrouve chez le dépressif luttant contre la dévalorisation de soi, mais se retrouve aussi chez le schizophrène morcelé par la spaltung… (NB : Eugen Bleuler donne de la Spaltung comme trouble fondamental de la pensée schizophrénique : la dissociation intrapsychique, selon lui, rend le sujet incapable d'organiser un discours suivant les voies de la signifiance et de l'association traditionnelles).

Alors, pourquoi avons-nous tendance à opposer les gens les uns aux autres ? Bien souvent la fierté, le chagrin, et/ou d’autres sentiments comme la peur de ne pas être respecté, reconnu, l’angoisse d’être rejeté, exploité… amènent à cliver les gens en catégories : les bons d’un côté, mauvais de l’autre, les fous et les raisonnables, les disciplinés et les subversifs, les honorables et les scandaleux, etc... En psychopathologie, on appelle ça un mécanisme de défense, ou d’un mauvais niveau d’adaptation, voire immature selon le degré excessif d’utilisation (Vaillant, 1993). Il n’est pas réservé qu’aux psychotiques… D’ailleurs, il est sain de savoir séparer, organiser ses émotions, ses pensées, afin de réfléchir à quelle réaction adopter dans une situation complexe, au sein de laquelle nous nous heurtons à des désirs antagonistes.

Beaucoup d’entre nous ont pu faire les frais de ce clivage, et aussi avouez-le, l’exercer sur autrui. En effet, qui n’a pas manqué un jour d’empathie, de compassion, s’adonnant sous le coup de la colère à un jugement, une critique, une généralisation hâtive à partir de quelques faits, un étiquetage abusif du style « avec eux, c’est toujours pareil, faut se méfier », etc.

S’il ne s’agit que de quelques fois, pas de panique, vous êtes imparfaits mais humains. Et parfois vous n’avez guère le choix que de prendre une décision radicale, avec sang-froid dit-on, pour ne pas vous éloigner de vos valeurs fondamentales, voire dans les cas extrêmes, préserver votre santé tant physique que mentale.

Si toutefois, vous avez l’impression d’être dans une situation qui se répète, d’être pris dans une spirale infernale de conflits, de reproches que vous adressez, ou d’être sans cesse critiqué, de vous sentir vidé de votre énergie, sous-tension, accompagné de signes d’alerte lancés par votre corps (troubles du sommeil, de l’appétit, maux de tête, etc…), il est bon de consulter votre médecin traitant et un psychologue.

En effet, de manière schématique, voici ce qui se passe lorsque les personnes sont idéalisées (gentil, adorable, fort, sauveur) ou dévalorisées (méchant, faible, incompétent, persécuteur, etc). Vous pouvez être pris dans ce que nous appelons en psychologie systémique, un triangle dramatique dit triangle de Karpman, une figure d'analyse transactionnelle proposée par Stephen Karpman en 1968, mettant en évidence un scénario relationnel typique entre victime, persécuteur et sauveur.

Le triangle de Karpman, outil de médiation pour gérer les difficultés relationnelles

Pour être bref (résumé extrait du livre de Cristel Petitcollin) :

- la victime apitoie, attire, énerve, excite.

- le bourreau attaque, brime, donne des ordres et provoque la rancune.

- le sauveur étouffe, apporte une aide inefficace, crée la passivité par l’assistanat.

Nous avons donc tous potentiellement notre place dans ce triangle, selon notre tendance à nous plaindre (victime), à vouloir aider autrui (sauveur), à critiquer (bourreau). Et se laisser embarquer dans ce type de relation va vous amener à un jeu de chaises musicales, où vous allez jouer tour à tour les trois rôles.

Je reçois fréquemment des familles, ou membre d'une famille au sein de laquelle un dysfonctionnement de ce type s’est mis en place insidieusement et aucun des membres n’arrive à trouver la clé pour modifier la qualité de la relation qui a viré au cauchemar et gangrène chaque jour un peu plus la sérénité de chacun.

Je reçois également des salariés en souffrance, épuisés par ce type de relation toxique au sein de leur entreprise, ou la dichotomie est la suivante "mieux vaut être un loup, qu'un loser", tout en pronant la bienveillance et l'esprit d'équipe.

Votre conscience vous fait vous remettre en question, vous êtes tiraillé entre l’envie de « foutre le camp », « ruer dans les brancards », "baisser les bras", "tenir bon encore un peu", etc… bref un cortège d’émotions très fortes qui s’intensifient et vous minent, que vous redoutez et qui parfois chez certains rendent accro aux scènes de ménage.

C’est ainsi que malgré une bonne, voire excellente intelligence, mais ne disposant pas assez de recul émotionnel sur le vécu, qu’une relation peut devenir toxique. En effet, même si certaines personnes sont à fuir (je pense aux personnalités perverses, psychopathiques, ou autres dont vous trouvez tout de sorte de descriptif à foison sur le net), il vous faut sortir de la victimisation. Elle fait partie du triangle dramatique. Un jour victime, vous serez ensuite pour vous en défendre le persécuteur de celui qui vous aura blessé. Pour ceux qui ont une conscience qui les tiraille, la culpabilité les rongera au point de vouloir sauver leur bourreau…et la boucle est bouclé, c’est reparti pour un tour.

Et voilà comment, depuis l’extérieur, les conflits familiaux sont vus : chacun voit ce qu’il croit être une vérité et alimente à sa façon le drame (persécuteur), en prenant part pour la personne qui se plaint (sauveur), sans savoir si cette dernière n’a pas été le persécuteur à l’origine dans l’histoire… et finalement se sentir si submergé par les angoisses de la famille dysfonctionnelle, que cette personne extérieure en vient à se sentir victime ! Vous l’aurez compris, nul n’est à l’abri d’entrer un jour ou l’autre dans ce genre de triangulation, ce modèle d’explication et outil thérapeutique s’applique dès qu’il y a 2 personnes dont l’une se pose d’emblée dans un de ces 3 rôles, et lorsque l’interlocuteur « accepte de rentrer dans le jeu ».

Par jeu, nous entendons souffrance et communication ratée, voire impossible, avec son panel de dramatisation, coups de théâtre, et en même temps « ces situations négatives sont étrangement standard et semblent obéir à des règles quasiment immuables » (Christel PetitCollin).

Les mécanismes inconscients qui se nouent puisent leur source dans votre histoire familiale, l’impact de votre éducation, selon votre degré de maturité affective, de dépendance et les fameux bénéfices secondaires qui tendent à dissimuler la négativité et la frustration générée par les jeux de triangle.

L’aide d’un psychologue, extérieur à votre vécu, est nécessaire. Le psychologue vous aide à la prise de conscience et à la responsabilisation individuelle. Connaitre, comprendre et désamorcer nos propres jeux vous demanderont de l’honnêteté. Vous aurez des résistances, en tant que psychologue, je veille à les prendre en compte, à respecter le rythme du patient. En effet, au clair avec le principe du transfert (au contact de la famille le thérapeute éprouve des émotions, attitudes qui sont l’écho de ce qui se joue plus ou moins consciemment au sein de la famille), le psychologue vous apportera le soutien, l’éclairage afin que vous puissiez réunir les ressources nécessaires, vos ressources, pour rompre ce cercle vicieux. Mais aussi veillera à vous soutenir quand les autres « joueurs » de votre environnement auront compris que vous voulez en sortir. Je pense aux personnes qui, dans un accès de désespoir, de rage, généré par des angoisses d'abandon, ou de perdre le contrôle, peuvent vous provoquer, voire vous menacer. En effet, quand les choses vont trop loin (harcèlement avéré, emprise morale, aliénation parentale), il peut être nécessaire de faire appel à la loi pour vous protéger.

Dans la majeure partie des situations, vous trouverez vous-même une issue, les moyens d'assaisinir vos relations. Il est néanmoins important de se sentir entendu dans sa souffrance, d'être aidé à désamorcer l’agressivité par l’apprentissage de la communication non-violente, de l’assertivité (cela sera l'objet d'un autre article), mais aussi par la capacité à lâcher prise, en réévaluant ses attentes, en acceptant de laisser partir certaines personnes, ou d'avoir le courage de s'en éloigner, et d'effectuer un travail de deuil.

De plus, l’ancrage dans l’ici et maintenant avec une meilleure organisation vous permettra de vous concentrer sur les autres domaines de votre vie, de prendre soin de vous, d'être davantage à l'écoute de vos émotions, de vous laisser guider par votre intelligence intuitive.

Et toutes ces mesures suffiront à (re)bâtir des relations saines et constructives, avec empathie, bienveillance pour autrui, et aussi indépendance/responsabilisation, respect et affirmation de soi , tout en tenant compte de ses limites (ni paillasson, ni hérisson)…

C’est-à-dire la voie de l’humilité, d'un peu plus de légèreté et de joie de vivre.

 

Bibliographie :

- Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ? Christel Petitcollin, Ed. Jouvence, 2013

- Le non-jugement, de la théorie à la pratique, Yves-Alexandre Thalmann, 2008

- http://www.psychanalyse-famille.org/eiguer140408.pdf

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